Armorial Breton

Guy Le Borgne, 1667

[page vi (ces pages ne sont pas numérotées)]

Avertissement au lecteur.

Le Proverbe qui dit (qu’autant de Testes, autant d’Opinions) est tres veritable, et je ne doute point qu’il n’occupe l’Esprit de ceux qui dans leurs heures de loysir s’appliqueront à la lecture de ce Livre, car estant peut-être rebuté des uns, et en quelque façon approuvé des autres, j’auray sujet de dire qu’autant de Lecteurs, autant d’hommes semblables à ces invitez au Banquet d’Horace, tellement contraires dans leurs gouts, que l’un prenoit à contrecœur ce que l’autre souhaitoit avec avidité ; Ceux qui inclineront à ce premier sentiment sont conviez de suspendre leur jugement et de ne me condamner pas d’abord sans au prealable m’entendre sur l’œconomie de ce travail, que j’avois fait au commencement par une simple recreation d’Esprit, et que je pretendois cacher dans le fond d’un Cabinet, si la priere de quelques-uns de mes amys bien versez en cette Science Heraldique ne l’avoit emporté sur l’indifference que j’avois à luy faire voir le jour : Mais cette conduite est de soy si claire, que le seul titre du Livre peut servir d’Instruction, et presque faire concevoir tout mon dessein ; Il me suffira donc de vous dire que je vous donne ce petit Arsenal des Armes, qualifié L’Armorial breton d’une Méthode assez facile et populaire, ébauché par feu mon pere il y a déja quelques années, je l’ay rendu au poinct que vous le voyez, esperant que malgré la rigueur du temps, la suite des Siecles, il conservera dans ses feilles le lustre des Familles, et de leurs Armes et Blasons, que j’ay en partie recueilly avec exactitude de [p. vii] plusieurs Genealogies compilées par mon feu pere sur les anciens Titres et sur ce qu’il y a de rare dans quantité de Maisons particulieres du pays, mesme sur quelques memoires tirez de la Chambre des Comptes de cette Province ; Il vous pourra apprendre par forme de divertissement plusieurs Devises de Maisons qui sont d’une recherche assez curieuse, comme aussi en quelles Paroisses et endroits elles sont situées, et par qui maintenant possedées ; et vous designera encore quelque partie des Employs considerables, Charges et Faits memorables de quelques Seigneurs de ces Maisons, qui en diverses manieres se sont signalez tant sous nos Ducs, que sous les Regnes de nos Roys ; Vous aurez aussi le contentement d’y trouver les Erections et Investitures de la pluspart des Terres principalles, comme Duchez et Païries, Principautez, Marquisats, Comtez, Baronies, et autres, au regard desquelles je n’observe aucunes proportions ny mesures, confondant quelquefois parmy elles quelques Royaumes, Villes, Estats, Principautez, et autres grandes Seigneuries, qui surpassent à la verité les limites de mon Project : Mais je ne le fais que pour soulager la memoire de ceux qui auront la curiosité de s’en vouloir servir au besoin, et les exempter de la peine qu’ils auroient de feilletter quantité de Livres pour trouver ce qu’en un moment, ils pouront rencontrer en celuy-cy, où j’ai tâché à mon possible de garder toute la fidelité que demande une entreprise de cette nature, estant d’humeur autant que personne du monde à croire que la fausseté n’est pas un moindre crime dans un Livre, que dans un Contract ; Vous y trouverez enfin un Traicté general des Termes usitez au Blason des Armoiries assez succinct et curieux, recueilly de plusieurs dignes Autheurs en faveur des Gentils-hommes de Treguier et de Leon, où les personnes de tout Sexe desireuse de s’acquerir la connoissance de cette Science heroïque, pouront jetter [p. viii] les yeux pendant leurs heures perduës et dérobées.

Je ne fais aucun doute que quelques Esprits naturellement enclins à réprendre, ne m’objecteront qu’en quelques endroits, je me sers presque des mesme termes que ceux qui ont écrit en pareille matiere, à cela je leur réponds avec le Comique qu’il ne se peut plus rien dire qui déjà n’ayt esté dit, d’ailleurs ils ne doivent pas ignorer que ceux qui composent les Bouquets, ne font pas les Fleurs ; c’est pourquoy je leur puis dire avec raison, qu’il n’est pas moins difficile de sçavoir bien appliquer que d’inventer.

Je pretens aussi peu estre exempt de la censure de quelques autres, qui me condamneront d’avoir confondu quelques Familles annoblies, soit par Lettres du Prince, ou par les Charges, mesmes quelques-unes de plus bas aloy, parmy les Gentils-hommes de race : Mais je croy que la seule inscription de ce Livre doit estre suffisante pour les payer de raison, et de crainte qu’ils ne se contentent pas, je me vois encore obligé de leur dire, qu’il y a peu de Familles en la Province, quelques illustres qu’elles soient, qui dans ce Siecle de corruption se puissent prevaloir avec verité de n’avoir pas directement, ou indirectement quelque mélange peu glorieux avec des Familles obscures  partant je n’ay pas creu devoir exclure absolument de ce Ramas les plus considerables d’entre Elles (sauf au Lecteur prudent et sage d’en faire le discernement) et de ne condamner pas trop legerement quelques Gentils-hommes de Marque, qui ne laissent pas de porter mesme Noms que plusieurs Roturiers.

Ce me seroit encore une temerité et presomption de croire qu’un recueil d’Armoiries de tant de differentes Maisons deût estre dès sa premiere Edition accomply au poinct qu’il ne se soit glissé quelques fautes, mesme par hazard quelques nobtables omissions de Maisons et Familles [p. ix] bien nobles avec leurs Armes et Blasons, notament de ces deux Eveschez de Treguier, et de Leon, qui meriteroient sans contredit d’estre admises, et de tenir Rang en ce Catalogue, mais je supplie de croire, que je ne merite point qu’on m’impute directement cette faute, mais au deffaut seul d’avoir esté mieux éclaircy sur ce sujet, estant confiné dans un lieu sterile, et trop ingrat pour le commerce, et la societé des gens capables de m’instruire. Soyez donc bien persuadé, Cher Lecteur, que si j’avois peu en vous rendant justice me satisfaire moy-meme, j’aurois pris un singulier plaisir à les inserer en cette premiere Edition, sans les reserver à une seconde que je pretens (si le Ciel me conserve la vie) vous donner encore dans quelques années mieux digerée, et peut-être d’une plus longue entreprise, si je reconnois que ces premieres Productions d’une plûme qui s’est voulu divertir par ce coup d’Essay, reçoivent l’approbation des gens de merite, c’est à quoy j’auray peut-être peine de reussir : Mais quoy qu’il en soit, je me flatte qu’il y en aura d’assez indulgens pour excuser les deffauts de ce petit Ouvrage, quand ils feront reflexion que c’est par où j’ay commencé, et que l’interest, ny la passion ne m’ont donné aucun mouvement que de tâcher de plaire à tout le Monde, et de laisser un chacun comme il est.